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Lettre GUTenberg 38 : notes de lecture de « Histoire de l’écriture typographique - Le XVIIIe siècle »

Publié le vendredi 15 août 2014, par Jérémy Just,

Dernière modification le 17 octobre 2021

Titre Histoire de l’écriture typographique - Le XVIIIe siècle
Auteur Yves_Perrousseaux
Année 2010
Éditions Atelier Perrousseaux
ISBN 978-2-911220-24-1 & 978-2-911220-34-0)
2 tomes, 239+239 pages, 45€ chaque

Cette fiche de lecture est parue dans la Lettre GUTenberg n°38, de juin 2011.

Yves Perrousseaux est décédé entre la rédaction de ce compte-rendu (décembre 2010) et sa publication.

Hommage à son œuvre.

Cinq ans après la sortie du premier volume de son ouvrage de référence sur la lettre typographique, Yves Perrousseaux, nous offre une suite attendue. Le premier volume de son Histoire de l’écriture typographique, paru en 2005, traitait de la lettre et de son évolution de Gutenberg au XVIIe siècle (voir la Lettre GUTenberg n°31, janvier 2006). Un volume conséquent (427 pages) pour une période d’étude étendue (deux siècles et demi). Le volume qui vient de paraître est tout aussi conséquent (480 pages) mais il ne traite que du XVIIIe siècle et a été scindé en deux tomes de 240 pages chacun.

Dans son style familier qui nous change de celui, neutre et impersonnel, habituellement pratiqué par ce type de manuels, Yves Perrousseaux nous fait donc parcourir le XVIIIe siècle typographique. La lettre d’imprimerie y est étudiée à travers tous ses aspects : l’évolution de son dessin ; les acteurs de sa fabrication que sont les graveurs et les fondeurs ; les grands témoins que sont les auteurs de manuels techniques, le plus souvent typographes. Reprenant son idée de pause inaugurée dans le premier volume, il développe également des sujets annexes qui nous entraînent hors du sujet principal de l’ouvrage. C’est ainsi qu’il laisse Claude-Laurent François traiter le sujet des écritures au pochoir, techniquesimple, souple et riche, souvent utilisée dans la réalisation des grands antiphonaires dont les chiffres de tirage trop bas ne permettaient pas l’impression en typographie ou engravure. Il convoque Diderot pour sa deuxième pause, avec la Lettre à un magistrat sur le commerce de la librairie de 1763 (publiée pour la première fois en 1861), véritable cours sur l’histoire, l’économie et la législation de la librairie (entendre ici l’édition) que Diderot donne à M. de Sartine qui venait d’être nommé par Louis XV directeur du commerce de la librairie. Le tome I/II comprend un chapitre intitulé « Composer avec des vignettes à combinaisons » qui aurait pu, lui aussi, être considéré comme une pause car son sujet lié aux mathématiques combinatoires et à la mise en page conduit encore le lecteur hors du sujet principal du manuel. Jacques André, que l’on ne présentera pas plus avant ici mais dont on connaît le travail sur les « tuiles de Truchet » et la traduction des Petits Jeux avec des ornements de Max Caflisch, a prêté la main à ce chapitre. La seule pause du tome II/II est consacrée à l’histoire et à la technique de la composition typographique de la musique, complexe à réaliser tant dans la fabrication du matériel d’impression que dans son utilisation. Toujours en marge du sujet principal mais fortement lié à lui, un chapitre sur les mesures typographiques ainsi qu’un autre, peut-être moins indispensable qui situe ces mesures dans l’ensemble de celles de l’Ancien Régime ; et un autre enfin sur la composition de l’alliage typographique, auraient pu eux aussi être élus au rang non négligeable de pause.

Au sujet proprement dit, maintenant. Il peut paraître un peu paradoxal de commencer l’étude des grands témoins de l’évolution de la lettre d’imprimerie et de l’art typographique au XVIIIe siècle par un auteur (et un manuel) qui sont du XVIIe. Mais Joseph Moxon (1627-1691) hydrographe et imprimeur anglais ne pouvait être oublié car il est le premier auteur à avoir traité du sujet, en 1683, dans son Mechanick exercises, or the Doctrine of handy works applied to the Art of Printing, second volume de ses Mechanick exercises dont le premier traitait des métiers du bois. Il aborde à la fois le dessin de la lettre, la gravure de poinçon et l’impression constituant ainsi non seulement le premier manuel mais aussi un ensemble complet sur l’art typographique. Martin-Dominique Fertel (1684-1752), imprimeur à Saint-Omer, sera, en 1723, le premier auteur français d’un manuel typographique La Science pratique de l’imprimerie. Il ne traitera toutefois que de la composition, de l’imposition et de l’impression, laissant de côté le dessin de la lettre et l’art de la gravure de poinçon et de la fonderie. Avec Prosper Marchand (1675-1756), libraire, biographe et bibliophile, et son Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie de 1740, Yves Perrousseaux quitte les témoins professionnels pour les érudits historiens et se fait un plaisir d’analyser les choix de caractères ainsi que ceux de la mise en page sans trop s’appesantir sur le fond de l’ouvrage. Vient ensuite cet ouvrage collectif majeur du XVIIe siècle qu’est l’Encyclopédie dont l’histoire seule sera abordée dans le chapitre qui lui est consacré. Dernier étudié, et non des moindres, parmi les grands témoins de cette Histoire de la lettre d’imprimerie, Antoine-François Momoro (1756-1794), imprimeur, libraire et guillotiné, avec son Traité élémentaire de l’imprimerie ou le Manuel de l’imprimeur de 1793 inaugure les traités techniques à présentation alphabétique comme les dictionnaires, forme qui sera reprise beaucoup plus tard par des auteurs comme Frey ou Morin.

Premier des grands acteurs, monument à lui tout seul de l’histoire de la lettre et de l’imprimerie au XVIIIe siècle, Pierre-Simon Fournier le jeune (1712-1768) est à la fois créateur de caractères, graveur de poinçons, fondeur, typographe et auteur d’un manuel technique. Il réussit également à imposer une mesure fixe en typographie : le point. Il développa l’usage de la vignette typographique à combinaison (d’où le chapitre consacré à cette combinatoire) jusqu’à en faire une des caractéristiques de l’esthétique typographique du siècle. Son Manuel typographique utile aux gens de lettres & à ceux qui exercent les différentes parties de l’Art de l’imprimerie, qui aurait dû avoir quatre tomes mais n’en eut que deux publiés en 1764 et 1768, est le premier après Moxon à décrire finement, et de l’intérieur de la profession, l’art de la gravure de poinçon et de la fonte de caractères typographiques. Il y cite pour les louer ou les critiquer, les productions de ses principaux concurrents fondeurs ; la recension et l’étude de ces fondeurs constituera l’essentiel de la matière du tome II/II de l’Histoire de l’écriture typographique et l’analyse d’Yves Perrousseaux se superposera ainsi à celle de Fournier. Sous cette double vision passeront : la fonderie William Caslon, l’Imprimerie royale et Louis-René Luce, les fonderies Sanlecque & Loyson-Briquet-Cappon-Vafflard, Cot, Lamesle, Gando, Jacques-François Rosart, Jean-Louis deBoubers, Johann Gottlob Immanuel Breitkopf, Delacolonge, Gillé père et fils, Edmund Fry et John Bell. Enfin, trois « monstres sacrés » de la typographie du XVIIIe siècle se voient étudiés, chacun dans un chapitre : l’Anglais John Baskerville (1706-1775), un amateur (puisqu’initialement « calligraphe ») fortuné qui finit par passion et désir de la perfection par devenir graveur émérite, typographe et éditeur accompli ainsi qu’initiateur de l’invention du papier vélin ; le début de la dynastie française des Didot, graveurs, imprimeurs et papetiers dont François-Ambroise (1730-1804) qui retravailla l’idée du point typographique de Fournier pour en faire le point typographique français utilisé partout dans le monde sauf dans les pays anglo-saxons et son fils Firmin (1764-1836), graveur, auteur du caractère associé au nom de la famille ; l’Italien Giambatia Bodoni (1740-1813), graveur et typographe installé à Parme dont le Manuale tipografico de 1818, imprimé par sa veuve, sera l’un des plus parfaits manuels-spécimens du début du XIXe siècle et un hommage à l’un des grands créateurs de types de l’hioire de l’imprimerie.

Pour ce XVIIIe siècle, l’impression de l’ouvrage est passée à la quadrichromie (le premier volume n’était qu’en bichromie), ce qui a autorisé une iconographie du plus bel aspect. Une iconographie dont l’abondance, si l’on fait un parallèle un peu osé avec la rime classique qui pouvait être ordinaire, riche ou millionnaire, relève sans nul doute de la troisième catégorie. Le sujet y est, grâce à elle, fort bien commenté et explicité.

Quelques critiques toutefois, hélas, sont à formuler au sujet de cet important outil, tantsur le fond que sur la forme. Sur le fond, on regrettera des répétitions un peu lassantes d’informations qui se veulent des rappels dans le discours mais qui finissent par faire croire que l’auteur considère ses lecteurs comme des têtes de linottes ; ainsi en est-il des nombreux (quatre ou cinq) rappels au sujet de la commission Bignon. Regrettable encore l’oubli, dans l’étude des manuels typographiques du siècle, de celui de Bertrand Quinquet (Traité de l’imprimerie, an VII [1798]) qui se veut être une continuation du Fertel,en plus complet comme l’indique clairement l’Avertissement : « La Science Pratique de l’Imprimerie, par Fertel, manque depuis quelques temps dans le commerce, et les autres écrits sur cette matière sont presque tous incomplets. Nous avons pensé que les Imprimeurs ne verraient peut-être pas sans intérêt, un Ouvrage qui renfermât le principe de cet Art sublime qui touche à son dernier degré de perfection. » Notons en passant que l’on trouve la numérisation de cet ouvrage sur Gallica. Bien faible nous a paru le chapitre consacré à l’Encyclopédie et surtout bien éloigné du sujet puisqu’il ne traite que de l’histoire de sa naissance (alors que d’autres ouvrages spécialisés préexistaient sur le sujet). On attendait plutôt des études réfléchies sur les parties consacrées aux techniques d’imprimerie, à la gravure de poinçon et à la fonte des caractères, à la calligraphie, etc. et pas seulement la reproduction de quelques planches dont le choix de certaines (moulins à vent, forges ou l’art du fer) est un peu déroutant. Dans le même ordre d’idées, certaines illustrations relèvent plus de la photographie de vacances que de l’illustration documentée comme la fig. 72, p.49du tome I/II, qui ne montre qu’un groupe de visiteurs de musée (dont certains, certes, sont prestigieux). Dans le chapeau de la deuxième pause, les lettres de privilège pour l’impression, Yves Perrousseaux prévient : « J’ai réduit le texte de Diderot pour n’enconserver que l’essentiel. Il m’est arrivé quelquefois, de remplacer un mot vieilli par celui que nous employons aujourd’hui et j’ai conservé l’usage du point-virgule tel que Diderot l’utilisait. » Si l’on comprend qu’un texte trop long puisse être écourté pour en resserrer le sens sans le changer, on déplore en revanche l’atteinte au texte par un changement de son vocabulaire. De plus, le français des Lumières est celui que nous écrivons et nous n’avons nullement besoin de le traduire pour le comprendre, d’autant que l’ouvrage de M. Perrousseaux ne s’adresse pas à des enfants de cours préparatoire mais à des lecteurs plus ou moins érudits. On relève également quelques naïvetés dans les commentaires ainsi, dans la note du tome I/II, p.82, peut-on lire : « La casse dite “parisienne”, qui date de 1910, était encore utilisée à l’écomusée Voltaire à Genève en 2004. » La casse parisienne est utilisée de nos jours dans toutes les imprimeries typographiques. Ou, tome I/II, p.100 : « Et ne perdez pas de vue que tout ce travail a été composé à la main, lettre par lettre,et que les types en plomb présentent forcément le dessin des caractères à l’envers (pour être reproduit à l’endroit à l’impression). » C’est le B-A BA du métier de typographe que d’être capable de composer un texte et d’être capable de le lire, souvent plus vite à l’envers sur le plomb qu’à l’endroit sur le papier. Ou encore, tome II/II, p.79 : « Curieusement, le livret est daté de 1769 alors que la dernière planche de caractères (en fait des notes de musique) porte la date de 1775. » Nul doute que l’impression a commencé en 1769 et s’est poursuivie jusqu’en 1775, ce qui n’a rien d’étrange. Ou enfin cette désarmante réflexion personnelle, tome II/II, p.38 : « C’est un des ouvrages de travail que m’a donné Adrian Frutiger en me disant : “Je n’en ai plus besoin maintenant, c’est à ton tour de t’en servir.” Ce que je fais. »

Quelques regrets encore comme ceux de n’avoir pas vu plus développée la note (tome I/II, p.125) sur la Description des arts et métiers ou plus complet (tome II/II, p.193), le paragraphe sur la stéréotypie qui ne mentionne que celle de Didot, oubliant celle d’Herhan. Un nombre assez important de scories reste dans le texte qui nous fait penser que ce dernier n’a pas été suffisamment relu avant la mise en page ou que la relecture a été assurée par l’auteur qui est en même temps le maquettiste. L’adage professionnel qui affirme qu’il n’est pire relecteur ou correcteur d’un texte que son auteur se vérifie une fois de plus (l’auteur de ces lignes, placé assez souvent dans la même situation, plaide coupable pour les mêmes fautes). Par exemple, des formules approximatives : « il [Baskerville] s’essaya sur la gravure de lettres [...] » (tome II/II, p.32) ; ou : « En 12 mars 1792, il épouse [...] » (tome II/II, p.152).

Sur la forme, le maquettiste n’est pas totalement irréprochable non plus. La séparation du volume en deux tomes n’a pas dû être initialement prévue, en témoignent, pour le tome I/II, l’encadrement non centré en largeur sur le premier plat de couverture, ainsi que sur les deux tomes, une typo du dos au corps un peu trop lourd qui semble être prévue pour un volume d’une plus grande épaisseur. Quant à l’intérieur, tome I/II, p.70-71,fig. 134 & 135, un changement de corps dans la légende au passage d’une page à l’autre ; tome I/II, p.176, fig. 303, 304 & 306 et tome II/II, p.79, fig. 90, des images pixelisées à l’extrême ; tome II/II, p.75, fig. 80, une légende qui ne correspond pas à l’image ; tome II/II,p.86-87, fig. 102, la représentation d’une double page dont celle de droite est coupée en deux par le passage de la p.86 à la p.87 ; tome II/II, p.190, un titre seul en bas de page ; plus généralement, pour l’espacement des signes de ponctuation dans le texte, le choix contestable en typographie française, d’une solution anglo-saxonne qui colle tout au mot précédent (à moins qu’un mauvais réglage du logiciel de mise en page...) Une dernière petite chose. Le passage à la quadrichromie pour ces deux tomes a obligé à un changement de papier. Le couché mat utilisé rend la lecture en éclairage fort et zénithal totalement impossible tant les brillances font disparaître le texte (un reproche fait à Baskerville, mais faussement, par ses détracteurs). Cet ouvrage est donc un livre à lire et à étudier par temps couvert, ou le soir à la chandelle, pour mieux se rapprocher des conditions de lecture du siècle étudié.

La recension de ces petits défauts n’a pas pour but de stigmatiser l’auteur d’un ouvrage qui représente un travail considérable, d’un grand sérieux et d’une grande nouveauté mais bien de manifester le regret que la formalisation de ce travail n’ait pas été l’objet de plus de précautions et de plus de vérifications.

Christian Laucou

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